L’engagement, un pari sur l’Utopie
S’engager. Me voici d’emblée dans le pari, le défi, l’affrontement avec le hasard. Peut-être contre la grisaille du quotidien, affectif, familial, professionnel, social ? Contre le vertige croissant de l’absurdité du monde ? La panique, l’indifférence, la résignation ? N’ai-je pas la sensation du manque d’une autre dimension, le besoin de réfléchir, d’agir autrement ? Comme la nostalgie d’un élément encore inconnu, mais déjà pressenti, non dans la souffrance, mais dans l’espérance. Comme un désir de me nouer dans une chaîne de solidarité inédite. Or l’engagement n’est-il pas la valeur médiatrice qui permet de dépasser l’absurde ? Ce par quoi je dis mon idéal de perfectibilité de l’Homme, de l’Humanité, l’utopie non comme abstraction, mais comme action sur moi-même, sur et avec autrui, promesse de réciprocité avec des passeurs de lumière et de fraternité.
Sur le chemin de l’autre et de soi
Je m’engage donc, conscient de ma fragilité, des aléas de la rencontre, mais désireux de peser sur l’ordre des choses dans le sens du mieux, du Bien. Quelle association choisir, et en quoi la Franc-Maçonnerie serait-elle différente, au-delà des principes affichés, Liberté, Egalité, Fraternité, Droits de l’Homme, défense de la Laïcité ? Avec l’intuition d’un choix durable et décisif, je ne la connais que par ouï-dire, et le secret qu’on lui prête ferait douter de ma lucidité à signer loyalement ce contrat dont j’ignore les termes. Pourtant, je me fie implicitement à des presque inconnus pour entrer en cheminement de mon idéal.
Une loge est tout sauf un club de rencontres, où on soignerait le désarroi, la solitude, la sensation d’être incompris. Le silence qu’on y cultive se révèle une force d’intégration, non d’exclusion comme dans les sectes. On y perçoit que l’homme, solitaire dans sa naissance comme dans sa mort, ne peut se découvrir lui-même sans autrui, en se dépassant pour s’inscrire dans l’universel. Apprentissage de l’exigence, de la rigueur, du respect de la parole, du libre exercice du jugement, d’une attention soutenue et éclairée.
Une réponse libre au questionnement du monde
Maître-mot de la Maçonnerie, la Liberté est le pouvoir de dire oui, mais aussi la force de dire non. Libre d’y entrer, libre d’en sortir, dans une autre manière de penser et de vivre, je découvre le lieu par excellence de la remise en cause, en apprenant que déception et doute peuvent être fructueux, que toute question prévaut sur sa réponse, partielle, éphémère, sujette à caution. Aucun catéchisme, seul le questionnement est le vrai processus libérateur, pour réfléchir à la responsabilité, réponse que je donne par mes paroles, mes actes, dans le respect des valeurs. Dans cet espace matériel et mental, chacun se trouve apte à jouer SON rôle, fraternel, social, humain.
Assis en loge en constant miroir de l’Autre, donc de soi-même, chacun devient un partenaire d’Egalité. Et, dans cette réciprocité fructueuse, la différence favorise la remise en questions des évidences simplistes sur le monde, ainsi que l’expérience irremplaçable de la Fraternité, qui ouvre à l’humanité assumée de chacun. Hommes et femmes, en diversité et mixité, sexuelle, sociale, culturelle, en solidarité, pour contribuer à une possible harmonie du monde.
Selon leur vocabulaire traditionnel de bâtisseurs, les Francs-Maçons construisent un temple virtuel et infini, où chacun, acteur assidu, est responsable de ce qu’il apporte, dans ce creuset où se recompose, sans écartèlement, la pluralité des identités qui le constituent, biologique, familiale, sociale, professionnelle. Puzzle de soi combiné avec celui des autres.
Par l’apprentissage du silence, de la parole et de la discrétion, se construisent la conscience de soi et l’accueil des autres. Conquête tâtonnante et patiente de sa liberté, dans le travail et la mesure. Et le fameux secret reproché aux Francs-Maçons manifeste leur lucidité sur l’impossibilité de partager avec ceux qui ne les vivent pas des cheminements faits de retours sur soi, de déceptions, de doutes, mais toujours d’espoirs, de projets, créateurs de possible, individuel et collectif.
Temple idéal, Temple de l’Humanité
Dans des lieux hors du temps réel et de son brouhaha, avec des outils d’éducation intérieure, de sincérité et de maîtrise de soi, des individus très dissemblables forgent les clés originales du questionnement propre à chacun, en désamorçant les passions et les violences du groupe, dans une sérénité, formelle parfois, où émergent les richesses intérieures. Sans nier l’inquiétude, le vacillement, la rectification.
Enfin, les Francs-Maçons revendiquent leur appartenance au monde réel et réfléchissent sur l’éthique et la société, dans son temps et dans l’universel. Et leur engagement et leur solidarité inlassablement construite se manifestent dans la chaîne d’union qu’ils nouent à chaque fin de réunion, métaphore tangible et joyeuse d’un idéal en actes.